Ré.elles : Quand la mise en scène sublime le documentaire

Le festival Ré.elles organisé par Comptoir du doc vient de se terminer aux Champs Libres. Parmi la belle programmation, deux films ont un point commun : leur mise en scène sublime le documentaire. Voici quelques réflexions sur la mise en scène de ces deux œuvres : Les reines du palace de Karine MORALES et Smoke sauna sisterhood d’Anna HINTS.

Les reines du palace de Karine MORALES

La réalisatrice Karine MORALES a suivi la lutte du personnel sous-traitant d’un palace parisien. Les employé.es, pour la plupart des femmes, demandaient tout particulièrement leur intégration dans l’entreprise afin de conserver le droit d’être représenté.es par des délégué.es. Elles souhaitaient également une meilleure reconnaissance de leur travail et de leur dignité. Tout en suivant ces femmes dans leur lutte, Karine MORALES a souhaité leur rendre hommage et les montrer belles, intelligentes en magnifiant leur image et leur parole.

Cela passe par des scènes prises sur le vif, dans la rue au pied du palace. Les femmes sont filmées en gros plan tenant des propos convaincants, propos complétés par des entretiens très pertinents réalisés en intérieur face caméra. Les plans sont magnifiques mais la réalisatrice a voulu aller plus loin et donner une vraie stature à ces femmes de ménage. Pour ce faire, Karine MORALES a choisi une mise en scène originale : dans un vrai/faux palace, les protagonistes posent maquillées,vêtues élégamment, parfois en costume traditionnel. Elles regardent la caméra, donc nous regardent. Superbement éclairées, elles sont belles, comme l’a souhaité la réalisatrice.

« Dans cet espace où elles doivent en principe ne pas rendre compte de leur passage, elles s‘inscrivent soudain durablement dans le lieu et l’image. Par cette intention de mise en scène, je voulais les restituer dans leur beauté comme dans leur engagement, indiquer leur vraie victoire : avoir su faire comprendre que sans elles, le monde du palace n’existe pas. Il n’est qu’un château de poussière. Cet espace-temps contrebalance avec celui, volcanique, de la grève à l’extérieur, filmé caméra au poing. » (Karine MORALES dossier de presse).

Ces plans commencent en gros plan puis par un lent travelling, la caméra s’éloigne, mettant les jeunes femmes au centre du décor. Elles deviennent maîtresses des lieux. Elles existent. La mise en scène fonctionne parfaitement et sublime le documentaire en donnant toute la place, la visibilité et la force à ces reines du palace.

Smoke sauna sisterhood d’Anna HINTS

Un film très différent où, là aussi les choix de mise en scène donnent une puissance évocatrice aux images et au son. Le film a d’ailleurs reçu le prix de la mise en scène au festival indépendant de Sundance.

Tout se passe dans un lieu unique : à l’intérieur ou aux abords d’une cabane en bois en pleine nature, plus exactement un sauna à fumée. Dans le sud-est de l’Estonie, ce type de sauna est une institution. Il est d’ailleurs inscrit au patrimoine immatériel de l’Humanité. Autrefois, c’était le lieu du cycle de la vie, là où les femmes accouchaient et où on lavait les morts.

De nos jours, l’endroit garde un pouvoir magique et respecté. On remercie le sauna en entrant et en repartant ! Le remercier de son accueil chaleureux et de ses bienfaits. Le sauna purifie le corps mais aussi l’âme. Il enveloppe de sa vapeur bienfaitrice et apaise par son silence. C’est aussi le lieu de la parole, où les femmes peuvent sans retenue raconter leur histoire. Parole écoutée, partagée, comprise par les sœurs présentes dans le sauna. Compréhension qui réconforte, permet d’exorciser le mal et d’apporter du bien-être à chacune.

La mise en scène de la jeune réalisatrice Anna Hints réussit à nous faire partager cette expérience sensorielle. En dehors du défi technique de filmer et d’enregistrer dans un lieu surchauffé et humide, la réalisatrice réussit le pari de nous intégrer dans son univers pourtant clos. Par un agencement magique de l’image et du son, les corps magnifiquement montrés (nous) parlent. Pendant que la caméra effleurent leur peau, les femmes se racontent, évoquent les hommes, l’amour mais aussi les moments douloureux, voire traumatisants qu’elles ont vécus. Même si on voit rarement leur visage, leur discours nous touche, semble intemporel et universel. « Là, dans les silences, j’ai senti l’importance qu’il y a à partager nos expériences, et la force immense qu’a la parole. Dans l’obscurité protectrice du sauna à fumée, toutes les émotions peuvent ressortir et aucune expérience n’est trop dure ou embarrassante : chaque parole a le droit de se faire entendre », précise Anna HINTS dans une interview disponible sur le site Cineuropa.

Comme une utilisatrice du sauna, la caméra s’offre des pauses en quittant l’intérieur du lieu. Cela offre au spectateur une ouverture lumineuse et lui permet de se ressourcer au son des chants traditionnels. Cette alternance intérieur/extérieur, paroles/silence/musique permet de ressentir l’expérience intime et de souhaiter la poursuivre. D’ailleurs, à l’issue de la projection, la productrice française du film, Juliette Cazanave (Kepler22 production) a transmis ce message de la réalisatrice pour ceux et celles qui ne peuvent bénéficier des bienfaits du sauna à fumée. Un autre lieu clos est accessible. Comme le sauna, c’est un lieu apaisant, bienfaiteur, où nous pouvons bénéficier du silence et de la parole d’autrui. C’est la salle de cinéma…

Si le film est distribué près de chez vous (sortie en salles le 20 mars), n’hésitez surtout pas à profiter de cette séance bouleversante et bienfaitrice.

Un billet écrit par Jean-Luc Lebreton, membre du Conseil d’Administration

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