Que peut le cinéma contre la barbarie ? Tout simplement témoigner, ce que fait magnifiquement le film de Sepideh FARSI, un film à voir absolument.
Quand Claude Lanzmann a fait Shoah, son film sur l’extermination des Juifs pendant la 2nde guerre mondiale, il n’a quasiment trouvé aucune image sur la solution finale et les chambres à gaz.
Quand Rithy Panh a fait L’image manquante sur le génocide Khmer au Cambodge, il a trouvé des images mais ce n’était que des films de propagande produits par les Khmers.
Les cinéastes qui souhaitent évoquer le « génocide » en cours dans la bande de Gaza peuvent encore trouver des images mais elles deviennent rares. Les médias étrangers ne peuvent pas entrer sur le territoire. A part celles de l’armée israélienne, les seules images produites viennent des journalistes, reporters ou photographes palestiniens vivant à Gaza. Leur nombre se réduit car ils sont la cible de l’état d’Israël qui veut contrôler les médias et l’information envoyée à l’étranger. Plus de 300 journalistes, reporters ou photographes ont déjà trouvé la mort depuis le 7 octobre 2023.
La rareté des images obligent les cinéastes à rechercher des témoins capables de décrire la réalité, d’expliquer leur lutte et de partager leurs émotions. C’est ce qu’a fait Sepideh Farsi, la réalisatrice de PUT YOUR SOUL ON YOUR HAND AND WALK. Elle souhaitait rencontrer des Gazaouis sur place mais a été bloquée au Caire. Les liens qu’elle a noué avec des Palestiniens ayant fui Gaza lui ont permis de rencontrer par Skype Fatma Hassona, une jeune photographe de 24 ans.
« Un miracle a eu lieu lorsque j’ai rencontré Fatma Hassona. Elle est devenue mes yeux à Gaza, où elle résistait en documentant la guerre, et moi, je suis devenue un lien entre elle et le reste du monde, depuis sa « prison de Gaza » comme elle le disait. »1

Les échanges ont commencé le 24 avril 2024 et se sont poursuivis près d’un an en visio. La connexion internet était souvent instable, voire inexistante mais leur amitié s’est renforcée dans l’adversité. Au-delà des blocages israéliens, la communication s’établit entre les deux femmes créatrices d’images. Elles échangent longuement. Chaque appel durait un peu plus d’une heure. Elles se sont vite trouvées des points communs comme le morse que l’une a appris dans les geôles iraniennes2 tandis que l’autre l’apprenait pendant le COVID.
Une communication rare mais vraie
Ce film documentaire est une histoire vraie dont nous connaissons l’issue et pourtant chaque appel de Sepideh crée de l’angoisse. La sonnerie de l’appel retentit. Rien ne se passe. Comme Sepideh, nous attendons craignant le pire. Fatma va-t-elle décrocher ? Où sera-t-elle ? Dans quel état physique ? Quel malheur va -t-elle nous narrer ? Pourra-t-on annoncer une bonne nouvelle ? Cette guerre finira-t-elle un jour ?
Lorsque la connexion est établie, Fatma décrit la situation à Gaza, raconte son quartier et évoque ses proches, parfois présents lors de la communication. Elle transmet aussi sa bonne humeur et sa joie de vivre même lorsque la situation se dégrade. Sepideh cherche à la réconforter, à lui donner de l’espoir et à la faire rêver. Fatma, qui n’est jamais sortie de Gaza rêve d’aller à Rome visiter les musées ou rejoindre Téhéran, la ville où Sepideh ne peut plus aller.
Régulièrement, Fatma et Sepideh se partagent de nombreux documents comme ces enregistrements sonores saturés d’impressionnants bombardements. Il y aussi tous ces clichés que Fatma, photographe a réalisés3. La jeune Palestinienne aime quand elle le peut parcourir les rues de sa ville et documenter ce qu’elle voit : des ruines dans lesquels elle essaie toujours de trouver un peu d’humanité. Ses portraits d’enfants sont particulièrement touchants. Et puis, il y a la lumière, lumière qui affleure le visage de Fatma et ensoleille ses photos.
Fatma envoie aussi des poèmes et une chanson qu’elle interprète, un moment émouvant entre deux séries d’attaques meurtrières de Tsahal car la mort est omniprésente, celle de proches, d’amies, d’enfants. Pour les Gazaouis, la mort est une situation « normale ». Fatma dit souvent cette phrase « We are used to it, but we’ll never get used to it ». « Nous y sommes habitués mais nous ne nous y habituerons jamais », un paradoxe qui peut nous surprendre, nous bien à l’abri, loin de la situation insoutenable que vivent les Palestiniens enfermés à Gaza.
Une vie impossible
Une nuit, la mort touchera également la jeune fille et sa famille mais, comme le répète Sapideh Farsi, Fatma est toujours vivante. Elle est dans nos cœurs. Nous pouvons marcher avec elle, regarder ses photos, écouter son message d’espoir et surtout garder dans notre cœur son sourire, ce sourire qui traverse l’écran, traverse les frontières. Il resplendit même s’il est terni par les privations, privation de nourriture saine, privation de sommeil sans le bruit des bombes, privation de distractions, privation d’« une chambre en soi » où la jeune fille peut s’isoler mais ne peut plus être en sécurité et surtout privation de liberté.
Le cinéma4 ne peut certainement pas arrêter la guerre mais il peut donner la parole à ceux et celles qui luttent pour leur liberté et l’affranchissement de leur peuple. En hommage à Fatma et aux peuples en lutte, il est important d’aller voir ce film, d’inciter ses proches à y aller, pour rencontrer Fatma et ne pas l’oublier.
« … une image qui ne pourra être enterrée par le temps. » (Fatma Hassona)

PUT YOUR SOUL ON YOUR HAND AND WALK, un film documentaire de Sepideh FARSI – 112 minutes. Sortie au ciné TNB le 24 septembre 2025
1Entretien avec Jean-Michel FRODON – Dossier de presse UNIFRANCE
2Sepideh FARSI afait de la prison en Iran à 16 ans avant de quitter son pays pour la France où elle vit depuis.
3Un livre de ses photos Les yeux de Gaza sort également mercredi 24 septembre aux éditions Textuel.
4 A voir également« Oui », le film de fiction du réalisateur israélien Nadav LAPID ou comment la création d’un artiste israélien est « dynamité » par les attentats du 7 octobre et les exactions de l’armée israélienne. Film projeté au cinéma ARVOR.
Jean-Luc Lebreton