REVERS : entretien avec Mosco LEVI BOUCAULT

Mosco LEVI BOUCAULT a accepté de répondre à quelques questions de Notes de comptoir. L’échange s’est fait par mail.

– Vous avez dit dans un entretien d’A voix nue de France culture qu’ Un Corps sans vie de 19 ans était né de l’émotion d’un magistrat en charge du procès du meurtrier de Gingka.  Émotion liée à la lecture du journal intime de la jeune femme. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus ?

– Le film part d’un corps sans vie qui gît sur un terrain vague près du boulevard périphérique parisien. La lecture du journal que Ginka Trifonova tenait sur un cahier d’écolier, dans sa chambre d’hôtel près de la gare de l’Est, disait sa solitude, son amour pour un jeune homme qui, d’Albanie où il vivait avec femme et enfants, exploitait son corps et ses rêves, son proxénète. Ce journal était comme un coeur qui battait encore. C’est ce coeur battant qui m’a donné envie de redonner vie à son corps sans vie en tentant de remonter chemin qui l’a fait partir d’une bourgade en Bulgarie et trouver la mort à Paris en passant par la Grèce et la Belgique. 

– « Le documentaire ça brûle plus que la fiction ». Pourquoi cette forme documentaire vous convient-elle mieux ? Pourquoi pour vous a-t-elle plus de puissance ?

– Le documentaire me convient parce que les moyens requis sont à ma taille, moins onéreux et plus intimes que la fiction. 

Et parce qu’on affronte l’Inconnu, à ses risques, et l’Imprévu. La puissance vient de là. Un exemple. Pour les Terroristes à la retraite qui était un projet de fiction au départ, je pensais demander à Charles Denner d’interpréter le rôle du résistant Charles Mitzflicker. Il l’aurait incarné avec son immense talent et sa singulière sensibilité. En abandonnant le projet de fiction pour filmer le vrai Charles Mitzflicker j’ai été gratifié par l’Inattendu : le souvenir des parents disparus qu’il égrène à la fin du documentaire et les larmes qui surgissent pour ne les avoir pas assez vengés. 

– Le 1er film qui vous a donné envie d’en faire s’intitule La Ballade du soldat de Grigori Tchoukhrai. Qu’est-ce qui vous a particulièrement ému dans ce film ? 

– C’est l’émotion ressentie qui m’attache à « la Ballade du soldat« . Une émotion nue, juvénile, sans pathos. Il ne se passe presque rien et c’est bouleversant. C’est le souvenir que j’en garde. Il y a avait aussi une structure documentaire : un voyage, avec un point de départ et un hypothétique point d’arrivée.

– Contrairement à Claude Ventura, vous avez choisi une narration à 2 voix, quel a été le bénéfice pour vous de ce choix sur le film ?

– On m’a reproché ces deux voix qu’on disait contradictoires, qui « louchent » m’a dit un ami. Le bénéficie pour moi était le Trouble créé, l’Inconfort.  Je fonctionne beaucoup à l’instinct. Comme pour le choix de la musique. J’avais très envie de la voix d’une amie comédienne et réalisatrice, Leïla Féraut, pour évoquer Ginka. Deux hommes mènent l’enquête. Une voix féminine la prolonge, l’accompagne. Pourquoi ? Je ne sais pas. Par instinct.

– Que vous a apporté la collaboration avec Philippe Broussard sur le film Un corps sans vie de 19 ans ? Comment vous êtes-vous répartis les rôles ?

– J’ai toujours été admiratif des grands reporters de la presse écrite. J’avais eu le projet avec la productrice Marie Genin, de réaliser une série de documentaires qui verraient des grands reporters de la presse écrite, Florence Aubenas, Marion Van Renterghem, Sorj Chalandon, Stephen Smith, Serge July, reprendre devant ma caméra une enquête inaboutie qui les « travaillaient » encore. J’avais lu une série d’articles de Philippe Broussard sur des migrants dans le port du Havre. Je ne le connaissais pas. Je l’ai contacté, je lui ai fait parcourir chez moi, à ma table, en silence, devant une caméra, tous les documents que j’avais réunis et qui constituaient les fondations du film. La lecture achevée, il a levé la tête et en amateur d’en-quête (je tiens au trait d’union) il m’a donné son accord. Nous avons fait le film en tandem. Lui devant moi derrière.

– Quel est votre secret (même si un secret çà ne se transmet pas) pour obtenir une telle franchise de vos témoins devant la caméra, en particulier les policiers et l’homme de la rue de la clôture.

-En bon assistant que j’avais été (c’est une excellente école de formation) je préparais le terrain la veille auprès de certains témoins (pour avoir leur aval et leur laisser le temps de réunir leurs souvenirs) tout en respectant l’Imprévu. Le secret est là : il faut que les témoins que vous allez filmer aient vu vos yeux, votre regard, avant de voir votre caméra ou plus exactement de ne pas voir votre caméra.

– Pourquoi avoir choisi en film « revers » En quête des sœurs Papin  de Claude Ventura ?

– Pourquoi Claude Ventura ? Parce que c’est un artiste. Il a un univers. Je peux reconnaître un film de Claude quasiment « à l’aveugle ». Pourquoi les Soeurs Papin ? Parce que c’est une quête et pas une enquête. Et parce que Claude Ventura est béni des Dieux : voyez la fin de sa quête. 

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