Carte blanche Mosco LEVI BOUCAULT : échange autour des 2 films projetés

Des rédacteurs des Notes de Comptoir ont échangé après une projection des 2 films choisis par Mosco LEVI BOUCAULT : Un corps sans vie de 19 ans et En quête des soeurs Papin.

Un documentaire policier

Le film de Mosco Levi, Un corps sans vie de 19 ans a toutes les caractéristiques du roman policier : un cadavre, un meurtre, une enquête, une ville, des témoins, la recherche d’indices, leur utilisation pour mieux connaître la victime et découvrir le meurtrier.

– En fait, on sait assez vite qui l’a tué, un toxicomane auquel on s’intéresse assez peu d’ailleurs.

– Ce film est une critique sociale. On est dans la misère humaine. Une jeune de 18 ans se retrouve en France et se prostitue. Elle croise des personnes adultes, référents, policiers, juges, magistrats et finalement, aucun ne parvient à l’aider.

– Dans les romans policiers, c’est courant de se désintéresser de la recherche du meurtrier. On est plus dans la description d’un milieu social, des rapports entre les êtres et leur mise en abyme.

Une narration à 2 voix – Des indices

La narration du film est singulière,  une narration à 2 voix, d’un côté un enquêteur, de l’autre, une voix off, une voix de femme qui contribue à l’avancement de l’enquête et informe le spectateur.

– C’est un dispositif très intéressant. Surtout que cette voix féminine est présente tout le film, même quand ce sont des hommes qui parlent. C’est elle qui fait les traductions.

– La narratrice va s’appuyer assez souvent sur des indices que l’enquêteur va trouver au fil de son enquête, des photos, des documents administratifs, et puis le journal intime de Ginka.

– En fait, elle en a 2, un en bulgare, l’autre en albanais. Sur le 1er, c’est plus affectif, elle est toute jeune, elle a 18 ans, elle dit combien elle aime Armando qui est souvent parti. Vivre sans lui est insupportable.

– Ce journal intime rend Ginka très vivante, on l’imagine bien ses journées à attendre et ses nuits à se prostituer. 

Des lieux des personnages

Le film commence rue de la clôture à Paris, sous le périphérique et se termine sur ce même lieu,  mais on voyage à travers toute l’Europe.

– Il y a cet homme qui nous décrit la scène du crime, le terrain vague, les déchets, le matelas,  c’est horrible.

– Justement cet homme aux cheveux longs noirs. On ne sait pas qui il est. Il parle de passes, de plannings. Je me demandais si c’était un maquereau.

– Non, c’est lui qui fait les passes, mais comme il est là depuis longtemps, il a beaucoup d’autorité. Il a une force incroyable, une façon de voir son monde. C’est encore le seul qui a l’impression qu’il est exerce un métier et qu’il est libre. C’est la seule personne qui s’exprime face caméra.

– Ces prostituées ne sont que des numéros, des fiches. Il n’y a pas d’êtres humains derrière. C’est un peu le contraire du film. Mosco Levi essaie de redonner une humanité à toutes ces personnes.

Rue de la clôture Paris

Montrer les photos, celles du cadavre, des blessures m’a gêné. Je trouvais que c’était trop. Ce n’est pas respecter la mémoire de Ginka que de les diffuser.

– C’est une caractéristique du roman policier. Il y a souvent un moment où il y a une description des lésions. Il y a un rapport du médecin légiste.

– Mais la voix-off a déjà dit comment elle était décédée, les 20 coups de couteau au niveau de la gorge. La photo était choquante.

– Je pense que l’auteur a ce souci de véracité qui l’amène à montrer les photos. Elles sont là aussi pour expliquer que Ginka ne s’est pas laissée faire. Elle s’est défendue.

Pendant tout le film, on a envie de retrouver Armando, son souteneur, l’homme par qui le malheur est arrivé. On aimerait qu’il s’explique. Finalement, il ne délivre quasiment aucune information.

– C’est insupportable, en fait. J’avais envie de le voir, mais en fait, ça ne m’a pas surpris quand j’ai vu qu’il n’assumait pas, qu’il mentait.

– Mais est-ce que ce n’est pas justement, la nature du documentaire ? De montrer la réalité. Peut-être que dans une fiction, Armando aurait été tué par quelqu’un. Ou arrêté. Dans la fiction, on peut choisir la réalité, imaginer un happy end. Dans le documentaire, non. Juste la réalité : Ginka est morte. Armando est vivant… et non inquiété.

Une autre enquête

Pour accompagner son film, Mosco Levi a choisi celui de Claude Ventura En quête sur les sœurs Papin.

– J’ai l’impression que c’est une enquête sur une enquête, d’où le titre en quête. D’ailleurs, le générique nous pose différentes questions. Qu’est-ce qui fascine dans leur meurtre ? Dans quel contexte ont-elles été jugées ? Comment la presse a-t-elle pesé sur l’affaire ? Aujourd’hui, que reste-t-il à découvrir ?

– Dans le film de Mosco Levi, on travaille avec des documents, des témoignages de 1ère main. Dans celui de Claude Ventura, l’enquête se fait à partir d’articles de journaux, des écrits indirects. Les faits, ont été manipulés, transformés, voire inventés…

– La romancière maintient coûte que coûte sa version. Elle recrée l’histoire. Elle raconte ce qu’elle a écrit dans son livre. Je pense qu’à la fin, elle y croit. Elle est persuadée que sa version est la vérité.

– Le discours est modifié parce que ce sont des notables. On est dans une petite ville, Le Mans, début des années 30. La pression sociale est forte.

– La voix off est magnifique, très bien écrite. Le chuchotement renforce le poids de la pression sociale. On comprend qu’il faille étouffer une autre affaire de notables.

– J’ai adoré la construction en 2 étapes. On travaille d’abord sur les faits puis on s’intéresse aux soeurs Papin.

– Voilà, un autre point commun aux 2 films : un beau portrait de femme. D’un côté, Ginka dont la personnalité prend forme petit à petit qui devient un être qu’on va regretter. Dans l’autre, c’est Léa, la sœur cadette, très effacée au départ, que l’on va découvrir et apprécier.

Table ronde avec Anna, Ewan, Adrien et Jean-Luc – Comptoir du doc mai 2025

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