CRITIQUE — PETIT SPARTACUS

Critique du film Petit Spartacus de Sara Ganem par Angèle Orgebin, élève du lycée Saint François-Xavier à Vannes.

Pédaler pour ne pas se noyer, « à Spartacus, qui m’a sauvée du naufrage ».

Sara Ganem réalise seule son film, Petit Spartacus. En 2023 sort un court-métrage sous forme d’autobiographie, de presque 27 minutes pour presque 10 ans de réalisation. ll est produit par Le GREC (groupe de recherches et d’essais cinématographiques). Le documentaire traite les thèmes du voyage, de l’errance et des violences.

Comme elle le dit, ce film « C’est d’abord un voyage qui s’est retrouvé être un film« . Par une voix off elle conte son histoire. Un peu trop à l’ouest, elle décide de tout quitter et de partir vers l’est. Elle part en 2014 et fait très tôt la rencontre d’un drôle de compagnon, Spartacus. Accompagnée de son vélo, elle parcourt l’Europe d’ouest en est. L’Allemagne, la Hongrie, la Serbie, la Macédoine, et enfin, la Grèce. Elle se déconnecte complètement de la réalité, se plonge dans un monde de rencontres et d’expériences. Elle passe des soirées arrosées aux matins bercés par le son sourd des pneumatiques sur le bitume humide. Un voyage tourmenté par un élément déclencheur. Un élément fondamental, à l’origine de tout le reste. L’ensemble est écrit de façon que nous le décryptions doucement. La réalisatrice se met à nu et s’expose de manière authentique et inédite.

Une jeune femme désorientée et une curieuse bicyclette s’embarquent alors dans le périple de l’oubli. Un nouveau départ marqué par leur rencontre. Pour la réalisatrice, cet objet lui est tout de suite paru très vivant. Elle le mettra alors de nombreuses fois en scène de manière complétement fantastique. Une fois à l’Est, il se met à lui parler, ils chantent et partagent des repas. On pourrait voir cette relation comme le fruit d’une folie émergente face à une solitude prolongée. Mais comme le dit Sara, on est dans un film alors pourquoi est-ce qu’un vélo ne pourrait pas parler. La façon dont est monté le film nous invite à nous installer pour un instant dans l’esprit de la jeune femme. ll n’y a plus vraiment de temporalité. Globalement l’histoire suit le déroulé du voyage mais son propos se mélange, s’embrouille. Elle introduit des anecdotes qu’elle ne finit pas mais qu’elle réexplicite plus tard. Vers la fin du film les séquences sont tellement marquées les unes par rapport aux autres, qu’à notre tour, nous nous égarons. On ne comprend plus bien si l’on est témoin d’une scène passée, dans le présent ou une scène dans le futur, le tout est complexe à restituer. Cela est sans doute aussi lié à une intention de la réalisatrice.

Pour elle, l’élaboration de ce film a été un chemin tortueux, elle passait son temps à le réécrire, elle s’est énormément remise en question. Ce qui est génial c’est que son état d’esprit en lui-même, pendant son voyage et lors de la conception du film, nous est accessible grâce au film. Elle s’empare de plusieurs dispositifs originaux, dont le fait d’utiliser ses vieux cahiers de cours pour illustrer ses propos. Nous sommes constamment en immersion dans son imagination et ses souvenirs. Les dieux grecs lui parlent. L’objectif, la destination du voyage, c’est la Grèce. D’abord introduite par le nom du vélo, la Grèce symbolise une culture antique basé sur une croyance polythéiste ou, comme Ulysse, notre destin n’est régit que par l’humeur des dieux. Le film m’a fait réfléchir sur des questions autour du destin, de la destinée. Par quoi ou qui régit notre vie ? Est-elle prédéterminée dès notre naissance ? Ce qui nous arrive est-il la succession des décisions, des chemins que nous choisissons d’emprunter? Ou alors, existe-t-il une quelconque divinité qui inéluctablement la régit? Pour moi la réalisatrice essaye de comprendre par plusieurs moyens ce qu’il lui est arrivé et pourquoi? Elle tente alors d’être seule maîtresse de son destin en partant traverser le continent, tout en cherchant à rencontrer ces dieux du mont Olympe qui auraient peut-être des réponses à lui offrir. Pour Sara, le plus important était de finir le film en remontant la pente, de finir sur une note joyeuse, pour transmettre quelque chose qui réchauffe le cœur, cette chose qui fait du bien. Le voyage tisse le film. Elle dira « La réflexion chez moi, elle marche quand je pédale, plus je pédalais, plus les idées venaient« . Elle dit aussi « elles venaient un peu trop, j’avais beaucoup trop d’idées« . En visionnant le film, j’ai l’impression de le ressentir. Il est judicieusement monté de sorte que l’on comprenne cette surcharge de pensées qui la suit.

Dès les premières images du film, elle nous parle de ce fameux élément déclencheur. Puis, les souvenirs ressurgissent. Le film est alors construit à rebours, ce n’est qu’à la fin qu’on comprend la cause du voyage. C’est une chute très prenante, avec cette machine à laver bien trop petite pour ce qu’elle voudrait laver. Petit Spartacus est puissant, touchant, et transmet un message positif. ll tire d’un sujet pourtant étouffant, une légèreté singulière.

Mars 2025, Angèle Orgebin.

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