La dimension sensible, à l’œuvre dans « Les sentinelles de l’oubli »1, confère à l’ensemble du film toute son originalité. Dès le premier plan, on déambule parmi les soldats, on observe toutes ces sculptures, dont semble jaillir une forme d’authenticité : celle de leur expressivité. Cette dernière, est portée par la voix-off qui nous livre, avec émotion, un bout de leur histoire.
La matière historique rencontre la matière sonore et se mêle alors à la matière sculptée, pour donner naissance à une forme de dialectique, entre fixité et mouvement. Dans ce cas précis, la beauté du geste de Jérôme Prieur, est d’avoir réussi à ramener au présent, du vivant dans un espace-temps, figé, dans le passé.
Et c’est là toute la force du film. Comment rendre hommage à tous ces soldats disparus, oubliés, ou inconnus, que seul un épitaphe ou la grandeur d’un monument vient nous rappeler à quel point leur courage fut immense ?
Le vivant. Le cinéaste ramène au présent filmique « le vivant » de l’époque en laissant émerger la réalité historique des récits, des lettres, des espoirs.
Tous ces soldats dressés face à l’ennemi, que la guerre a ensevelis, sous des mottes de terre et de boue, retrouvent toute la puissance de leur stature dès lors que le processus artistique du sculpteur entre « en matière » et en cisèle chaque détail, chaque expression, chaque sentiment, que Jérôme Prieur, cinéaste, porte au regard, sensible, du spectateur, rendant ainsi à la chair et aux cœurs meurtris, un souffle presque imperceptible, à travers le mouvement de la caméra, mais aussi à travers celui de la voix, jusqu’au mouvement du son produit par la nature environnante. L’outil cinématographique vient redonner vie à la matière de cette diégèse historique, sculptée dans la pierre, le bronze et l’étain.
Le présent filmique apporte aux soldats, dont il ne reste que la fixité, le mouvement nécessaire qui leur permet alors de renaître aux yeux des spectateurs. On contemple ces « héros sculptés », portés par les instants narrés qui insufflent à l’ensemble des personnages, figés, le caractère vivant, dont l’humanité a besoin, pour ne jamais oublier, et surtout pour continuer à faire résonner, tant que possible, le clairon de la paix. Absolue nécessité.
Hélène NOËL
- Les sentinelles de l’oubli de Jérôme PRIEUR. 2023 ↩︎