MOIS DU DOC : entretien avec Benjamin MERCUI, assistant sur Allo la France

Allo la France : un hommage aux cabines téléphoniques qui devient un plaidoyer pour le service public de proximité

La cabine téléphonique, après 40 ans de loyaux service, est « traquée » pour être démantelée, supprimée du paysage français car devenue obsolète, « has been » et surtout parce qu’elle n’est plus assez assez rentable. Floriane Devigne1 nous embarque avec humour, dans un road-movie conjuguant intime et politique, à travers la France des zones blanches, suivant son ‘obsession’ de retrouver in extremis les dernières cabines encore en état de marche. Benjamin Mercui, nous parle de cette obsession qui a contaminé l’équipe du film.

Anne : Floriane, au début du film, indique qu’avant de prendre plusieurs milliers de photos et de vidéos de cabines à partir de 2010, elle ne collectionnait rien. Comment lui est venue l’idée de ce film ?

Benjamin : Je ne suis pas sûr qu’elle sache elle-même quand l’idée de collection est devenue une idée de film. Très tôt, elle tourne les images d’une cabine suisse futuriste. Cet objet particulier l’intéresse car c’est une petite scénographie en elle-même. Avec ce film, on part d’un objet du quotidien qui devient un prétexte à raconter l’histoire intime et collective des personnes sur ce territoire. Un film plus ancien de Floriane, La boîte à tartines2, était dans cette même lignée. La cabine téléphonique n’appartient à personne pourtant elle est utilisée par tou.te.s. Floriane dit souvent que c’est un service public à usage privé. Elle était intéressée par l’objet mais aussi par ce que cela raconte de l’individu et du collectif.

Anne : Comment s’est passé ce travail d’enquête pour retrouver les cabines et collecter des témoignages ?

Benjamin : Dans un premier temps, nous cherchions les cabines pour nos scènes de tournage. Ensuite, en fonction de leur emplacement, on se renseignait sur la région et sur ce qu’elle pouvait raconter. Au début, nous n’avions pas vraiment de méthode ; je vérifiais les informations données par des personnes qui nous contactaient avec une stagiaire de la boîte de production. Ce travail assez amusant ressemblait à une quête bizarre… mais au début, c’était vraiment compliqué.

Anne : Orange n’avait pas répertorié les cabines ?

Benjamin : On n’a eu aucun soutien d’Orange sur ce film. Ils craignaient sans doute un film un peu politique. Globalement le film n’est pas virulent excepté la séquence sur Lombard. Le démantèlement des cabines faisait partie de leur histoire. Orange, dans le film, n’est pas montrée comme une entreprise qui détruit les services publics. Une cabine utilisée une seule fois par an n’est pas rentable. Le film raconte l’histoire finalement commune d’une disparition liée à une évolution technologique. On a trouvé d’autres ressources. Je me suis servi de la documentation de l’ARCEP3 et principalement d’un tableau Excel assez exhaustif de la qualité de connexion des 35000 communes françaises. Après plusieurs tris, la liste de communes s’est réduite à quelques centaines.

Anne : Vous avez donc appelé toutes les mairies pour vérifier la présence d’une cabine sur leur commune ? Et leur état de fonctionnement ?

Benjamin : Oui, et pour les petites communes, le créneau d’appel se réduisait souvent à 2h par semaine. Des habitants, quand on avait oublié de téléphoner à la mairie, se sont prêtées au jeu en allant vérifier si la cabine existait encore et revenaient nous rapporter le fruit de leur quête. Une fois que nous avions la confirmation de la présence d’une cabine, on leur demandait de vérifier s’il y avait une tonalité et si oui, de nous donner le numéro de la cabine. On commençait à avoir une liste qu’on transposait sur une carte nous permettant d’organiser les tournages en fonction de zones où il y en avait 4, 5, 6 au début puis plutôt 1,2 ou 3 ensuite. Exercice très amusant, mais de l’artisanat total !

Allo La France – Les films de l’oeil sauvage

Anne : Comment avez-vous recueilli les témoignages ?

Benjamin : On lançait des appels à participation en utilisant différents médias : la presse locale, la mairie avec la publication d’une annonce sur la place, la circulation de tracts. Les réseaux sociaux fonctionnaient moins bien car on touchait surtout nos cercles d’amis. J’organisais toujours une conversation téléphonique en amont avec la personne pour préparer le tournage. Floriane ne connaissait pas la teneur du témoignage pour préserver l’authenticité de l’appel. J’avais un planning pour savoir qui allait raconter quoi, pour trier aussi, et éviter que les mêmes thèmes se répètent. Les canulars téléphoniques revenaient souvent. Pour avoir du choix au montage, je sélectionnais d’autres types de récits. Les personnes n’appelaient évidemment pas la cabine qu’il connaissait. Cela aurait été trop compliqué. Nous souhaitions juste recueillir un témoignage dans une cabine qui devenait notre petit théâtre du moment.

Anne : Comment avez-vous enregistré les séquences d’appel ? Le son est vraiment de bonne qualité, c’est étonnant si les appels ont vraiment eu lieu dans les cabines…

Benjamin : Au début, on pensait installer un micro suffisamment petit directement sur le combiné mais la qualité du son de l’appelant posait problème. Un ingénieur son a finalement trouvé la solution en installant un zoom. Les personnes m’appelaient sur mon portable, j’appelais ensuite la cabine pour établir une conférence téléphonique. En muet, j’écoutais et je réglais le son. Solution efficace et simple. Un mixage a été nécessaire bien sûr, mais le résultat était assez bon dès la prise.

Anne : Je suis étonnée que M. Poisson, l’agent d’Orange, une fois à la retraite, n’ait pas pu vous aider.

Benjamin : M. Poisson était le dernier chef de département de la publiphonie chez Orange. A la retraite, en toute discrétion, il nous a transmis une liste officielle des dernières cabines ; mais on a récupéré cette liste très tard, fin 2021 – début 2022. On a donc rappelé les 300 communes pour faire les vérifications. L’assistant réalisateur a un rôle important de fond et de terrain pour répertorier ce qui est disponible pour le film. Quand on a eu cette liste, beaucoup de cabines ne fonctionnaient déjà plus…c’est bien tombé, car il nous fallait finir le film à ce moment-là.

Anne : Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur le musée d’Orange qu’on voit vers la fin du film ?

Benjamin : M. Poisson nous a aimablement renseigné sur ce lieu fantôme assez incroyable en Ile-de-France. Orange a centralisé ses anciens matériels mais la société n’a jamais passé le cap d’en faire un musée des PTT. Nous avons pu tourner dans ce lieu de stockage et même filmer l’ancien bureau de Lombard, sans être inquiétés.

Anne : Comment s’est déroulée la rencontre avec Cécile Duflot ?

Benjamin : Cécile Duflot travaille maintenant pour Oxfam et comme le dit Floriane dans le film les règles du jeu changent : c’est elle qui va la contacter et non le contraire. Floriane souhaitait appeler une femme politique de sa génération. Cécile Duflot a été facile à convaincre.

Anne : En quoi ce rôle d’assistant réalisateur t’a-t-il aidé dans ton parcours professionnel ?

Benjamin : Mon histoire avec ce film est importante parce que je suis entré dans la société de production « Les films de l’œil sauvage » comme stagiaire en 2017 et j’y suis resté 4 ans en endossant plusieurs fonctions : assistant de production, stagiaire, chargé de production. J’ai un peu grandi en même temps que le film car j’étais présent à toutes les étapes. J’ai préféré quitter la structure à la fin pour être sur le terrain. Lorsque l’on fait partie d’une société de production, notre participation est plus importante dans les bureaux que sur les tournages. Je suis devenu assistant réalisateur assez naturellement sur le film parce que j’avais déjà pris en charge ce rôle. J’ai donc accompagné ce film pendant au moins 5 ans. Ce film m’a aussi aidé à comprendre ce que je voulais faire, à me situer professionnellement. Grâce à ce film, j’ai compris que j’adorais le documentaire en préparant les séquences de tournage mais en étant surtout sur place.

Anne : Quelles formations as-tu ?

Benjamin : Après Sciences Po Toulouse, avec une dominante culture et communication et un peu de journalisme, je me suis ensuite formé en audiovisuel à l’INA Sup. Maintenant, je prends beaucoup de photos, et je travaille un peu comme chef opérateur sur des documentaires. Ce métier se rapproche beaucoup de la photographie. Nous avons beaucoup échangé avec Nathalie, la directrice photo du film. Le petit format de l’équipe m’a d’ailleurs permis d’apprendre de tout le monde…Par exemple, j’ai compris comment Floriane conceptualise, comment elle s’arrange et s’adapte mais aussi comment elle renonce en fonction de l’avancée du film.

Anne : En ce moment, sur quels types de projets travailles-tu ?

Benjamin : Cette année j’ai travaillé sur le film de François Ruffin et Gilles Perret, Au boulot, en tant que 2ème caméra sur le tournage. J’ai aussi participé cette année à un 52 min de format télévision. J’espère retrouver un projet au long court qui m’intéresse artistiquement. J’aimerais me concentrer sur la fonction de chef opérateur et pourquoi pas réaliser un jour. J’attends une évidence pour développer mon projet personnel.

Anne : Et justement, si tu devais réaliser un documentaire… ?

Benjamin : J’aimerais bien réaliser un documentaire traitant d’un métier isolé, comme par exemple Un pasteur qui passe cette année au Mois du Doc. Un film un peu méditatif, lent, très différent de celui de Floriane qui est très incarné et parlé. Elle a réussi à faire une voix off qui donne un ton de comédie au documentaire. Contrairement à elle, je ne pourrai pas me mettre en scène. Si je devais faire un film, je le ferais en disparaissant derrière la caméra, sans interview. Et il me faudrait quelqu’un au son. On sous-estime trop l’importance des ingénieurs son. Une équipe de deux m’irait très bien.

Anne : Nous espérons te voir bientôt à Rennes dans le cadre du Mois du doc ou d’un autre festival pour partager ton premier documentaire4  !

Anne BICHON

Entretien réalisé avant la projection du samedi 9 novembre 2024 à Baguer Pican.

  1. Après un 1er court-métrage sorti en 2005 « Les Mots clairs » Floriane Devigne enchaîne plusieurs films documentaires, La Boîte à tartines (2007), Dayana Mini Market en 2012, La Clé de la chambre à lessive (2013), Deltas, retours aux rivages (2016), Ni d’Eve ni d’Adam (2018), Juste Charity (2022), Allo la France (2023) ↩︎
  2. Boîte utilisée par les travailleurs belges pour manger. ↩︎
  3. L’ARCEP : Autorité de Régulation des Communications Électroniques, des Postes et de la distribution de la presse. ↩︎
  4. Pour en savoir plus sur Benjamin Mercui : https://www.benjaminmercui.fr ↩︎

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