Révélation de la dialectique de la nature grâce au temps.
Baya est un documentaire qui prend son temps et qui révèle son émotion petit à petit. Toutes ces nuances sont ressenties grâce à la longueur du film, grâce, dans certaines séquences, à l’effacement de la caméra dans le décor, renforçant le côté immersif. Les sens contradictoires ne nous permettent pas de prendre parti ou de dire que le film prend parti sur un mode de vie. C’est avant tout un hommage à Baya, mais aussi un hommage aux femmes paysannes.
On suit le quotidien de Baya, une grand-mère paysanne au fin fond des montagnes en Chine. On nous montre sa routine. Elle cultive ses propres terres et nourrit ses animaux pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses petits-enfants. La majorité de ses fils sont morts, soit d’une maladie pulmonaire due au travail dans les mines, soit par accident. Baya s’occupe des enfants orphelins. Elle habite au pied des montagnes qui l’entourent, donnant un sentiment de solitude et de fatalité sur sa condition. C’est la nature qui rythme sa vie. La dialectique de ce qui fait loi pour les paysans nous est alors montrée petit à petit. La nature nourrit, entretient mais elle rend pénible le travail et condamne à répéter la même chose.
Privilégier la cruauté inconsciente de la nature ou la cupidité du monde urbain ?
On ressent toute la pénibilité des tâches agricoles et familiales dans un environnement qui ne facilite en rien ces conditions de travail. Et pourtant cette pénibilité de la nature se révèle, au travers du destin tragique de ses enfants et des minutes qui passent, comme l’issue la plus favorable. Tous ceux qui ont voulu s’extirper du monde rural pour espérer une vie meilleure ont péri. Indirectement, une dimension bucolique s’installe au fur et à mesure et apparaît en opposition au monde urbain qui nous est inconnu. On comprend ainsi le point de vue des fils attirés par cet Eldorado urbain car ce que nous montre le documentaire est ce qu’ils vivaient depuis leur naissance. Cette autre vie attire ses enfants par l’argent mais les usera. Baya le dira elle-même, « Je ne crois pas au destin, ni à l’argent » car c’est l’appât du gain qui a arraché ses enfants pour les tuer. C’est ce monde urbain mais aussi politique qui sera critiqué, notamment à propos de la Révolution Culturelle qui a provoqué une famine nationale, ou encore les amendes répétées envers les paysans, les paupérisant davantage. Apprenant la cause de la mort de ses enfants les uns à la suite des autres, les contraintes agricoles et quotidiennes de la vie à la campagne prennent alors un aspect rassurant, particulièrement lorsqu’elle va chercher du bois avec la voisine ou ses belles-filles ou lorsque l’on voit ses petits-enfants s’amuser.
Et pourtant tout ceci est nuancé par le destin cruel que peut réserver la nature de part ses contraintes, mais aussi au travers des anecdotes de Baya. Par exemple, comme elle devait travailler au champ, elle avait laissé un de ses enfants en bas âge seul dans la maison. Elle le retrouvera plus tard mort suite à une chute sur un rocher.
Un hommage au monde paysan et aux petites mains qui le façonnent.
« Baya » est une œuvre symbolique féministe extrêmement forte de part son vécu et son statut mais aussi son abnégation à continuer de vivre, de travailler, toujours planter les graines, chercher du bois, entretenir la maison. Tout va en sa défaveur et pourtant elle continue et reste aimante avec ses petits-enfants, c’est très touchant. J’ai alors ressenti ses funérailles comme la fin d’un combat qu’elle a mené toute sa vie. Puis ce sous-titre qui expliquait que Baya est morte paisiblement, la puissance que cela procure, tout ce parcours vécu sans abandonner et récompensé par cette mort « douce », c’est poignant.
Evan Montembault