En association avec la grande rétrospective organisée par la Cinémathèque du documentaire à la BPI, le Ciné TNB propose une première série de 3 films de Frédéric WISEMAN, le grand documentariste américain.
Une rétrospective intégrale
Le CinéTNB prévoit la projection de la quasi totalité des films du réalisateur au cours de la saison. Cette heureuse initiative est intelligemment illustrée par une grande carte des Etats-Unis (imaginée par Stéphanie JAUNAY, programmatrice au TNB). La carte couvre l’un des murs du hall d’accueil du cinéma. Pour chaque état concerné, une fiche indique le ou les films que Wiseman y a tourné.
Cette rétrospective commençait ce vendredi 13 septembre par la projection de Law and order, le 3ème film de Wiseman réalisé en 1968. Anthony FIANT, professeur d’études cinématographiques à Rennes 2 a présenté le film. Cette rétrospective est une chance car les films de Wiseman n’ont pas toujours été visibles en salle. La distribution n’a commencé qu’en 2009 pour le film La danse sur le ballet de l’opéra de Paris. Profitons-en d’autant plus que les copies sont restaurées sous la responsabilité de Frédéric Wiseman lui-même. Les images en noir et blanc sont magnifiques.
Wiseman : héritier du cinéma direct
Anthony Fiant a rapidement donné quelques clés sur Wiseman, son approche du cinéma, son projet de film. Wiseman a débuté la réalisation en 1967 avec Titicut folies et a immédiatement opté pour la technique du cinéma direct. L’universitaire a dû répondre à l’interrogation d’une spectatrice : « Qu’est-ce que le cinéma direct ? ». Développé aux Etats-Unis (Drew et Leacock) au Canada (Michel Brault et Pierre Perrault) et en France avec le nouveau cinéma vérité (Jean Rouch et Edgar Morin), c’est une manière nouvelle de filmer la réalité. L’équipe est réduite et l’équipement léger permet d’enregistrer en synchrone son et image. Le cinéma direct a révolutionné le documentaire, l’a rendu plus naturel, plus près des gens. Il a permis de donner la parole à ceux ou celles qui sont filmé.es.
«On dit que le cinéma direct a disparu mais je pense que c’est faux. Il n’a jamais été aussi vivant », précise Anthony Fiant. Cela se confirme dans les festivals de documentaire, même si le cinéma direct contemporain s’est diversifié.
Wiseman travaillait avec une petite équipe de 3 personnes : un opérateur à la caméra, un assistant et lui-même au son. Intéressant de noter que Wiseman n’était pas au cadre, il s’occupait du son. Il souhaitait recueillir la parole des personnes filmées tout en donnant des directives de mise en images.
Un cinéma moderne
Le cinéma de Wiseman n’a jamais été aussi moderne, d’abord dans le choix des sujets. Dans le film présenté ce soir-là, Law and order, Wiseman va suivre des policiers à Kansas City . Le quotidien a peu changé si on le compare à l’actualité : il y a toujours des problèmes sociaux, du racisme et de la violence. Plusieurs scènes font écho à des faits récents que ce soit cette jeune femme noire victime d’un étouffement lors de son interpellation par la police ou ces scènes où des couples se déchirent violemment.
La mise en scène de Wiseman est un autre élément de modernisme. Après avoir capté la réalité des journées des policiers et filmé avec des plans très serrés les visages, il réussit par un montage d’une grande précision à donner vie à ses personnages, à les rendre particulièrement humains. Le film est une mosaïque d’histoires humaines touchantes, parfois tragiques, parfois drôles mais toujours passionnantes.
Dans son essai consacré à Wiseman, La vie des ombres (ed. Stock), Constance Rivière cite Jean-Pierre Miquel, à l’époque administrateur de la Comédie Française,« [x] ne délivre pas de message. Simplement, il regarde les personnages. On ne sait pas ce qu’il pense. C’est tout l’équivoque. Il ne juge pas. Il décrit l’humanité. C’est un amoureux du genre humain. Il dépeint toujours ses personnages, même quand ils sont très durs, avec beaucoup d’amitié ». A l’origine, ces propos concernent Marivaux mais il convienne parfaitement à Frédéric Wiseman.
Cette première projection suscite l’envie de voir les prochains films de cette rétrospective, rétrospective d’ailleurs appelée Nos humanités. Hospital 1970 et Juvenile court 1973 sont également présentés au CinéTNB.